Question sous les étoiles : que pensait-on des extraterrestres au Moyen Âge ?

La nuit est tombée et si vous avez de la chance, le ciel est suffisamment dégagé pour permettre l'observation des étoiles. Sans doute vous êtes déjà demandé ce qu'il pouvait bien y avoir là-haut et si d'autres vies que celle que nous connaissons sur la Terre existent dans ces espaces infinis. 

De nos jours, la question de la vie extraterrestre est très présente : les films, BD et théories diverses en ont fait un élément courant de notre culture et les progrès de la science ont de quoi donner de l'optimisme. Peut-être que vous et moi appartiendront à la génération qui assistera à la découverte d'une forme de vie, complexe ou non, quelque part dans l'espace, sur Mars ou ailleurs. Ce sera assurément l'un des plus grandes découvertes de l'histoire de l'Humanité. Mais que pensait-on de la pluralité des mondes dans des temps plus anciens que les deux derniers siècles ? Et pour rester dans le thème des Visiteurs, que pensait-on de la vie extraterrestre au Moyen Âge ? 

Dans cet article, nous allons nous intéresser à cette question. Dans un premier temps, nous aborderons une croyance et histoire étonnante du Moyen Âge qui trouva un écho chez certains auteurs voici presque soixante ans pour évoquer brièvement les OVNI (même si vous le verrez, il est bien difficile de vraiment y faire une association avec ce que l'on connait aujourd'hui). Puis, dans une seconde partie, nous verrons les débats et discussions que la possibilité de l'existence d’êtres sur les astres engendra à l'époque médiévale.


"Rencontres du troisième gueux" : Agobard et les tempestaires

Depuis le début du Moyen Âge existait une croyance selon laquelle des êtres nommés "tempestaires" traversaient le ciel à bord de navires volants. Si des personnes réelles se sont sans doute présentées comme étant de ceux-ci pour en tirer des bénéfices, la croyance prêtait à ces personnages la faculté de provoquer des catastrophes météorologiques comme de la grêle, des orages et autres phénomènes susceptibles de détruire les récoltes des paysans. Il arriva ainsi que des mauvaises récoltes ou des intempéries soient attribuées aux tempestaires, lesquels viendraient d'un lointain pays appelé la Magonie.    

Agobard de Lyon et l'affaire des tempestaires.  

Au début du IXe siècle, c'est par les écrits d'Agobard (779-840), évêque de Lyon, que l'on connait une bien curieuse histoire liée aux tempestaires. Croyance populaire des paysans de la région lyonnaise de cette époque, Agobard raconta dans un de ses écrits comment il fut amené un jour à sauver quatre personnes (trois hommes et une femme) suspectées par les paysans d’être des tempestaires et qui étaient sur le point d’être lynchées par crainte qu'ils ne s'en prennent aux cultures. Appelant les paysans à la raison, il aurait réussi à les convaincre que ces quatre individus ne pouvaient pas être des tempestaires puisque ceux-ci n'existent pas. Cet épisode est relaté par Agobard dans un texte intitulé "De grandine et tonitrius" qu'il rédigea quelques années plus tard. 

La croyance paysanne selon laquelle des individus peuvent contrôler les éléments et s'en servir pour détruire les récoltes connut diverses versions au cours des âges mais l'on retrouva longtemps l'idée de navires volants qui évoluent dans les nuages et venaient d'un pays lointain. Si les tempestaires furent longtemps considérés comme relevant de la sorcellerie et du folklore rural, le milieu du XXe siècle vit quelques auteurs commencer à réinterpréter ces légendes médiévales. C'est en effet à cette période que l'on voit apparaître la fameuse autant qu'infondée théorie dite "des anciens astronautes" (aussi appelé néo-évhémérisme selon le terme créé par le sociologue français Jean-Bruno Renard) qui reprit toutes les choses mystérieuses (ou du moins supposées telles) de l'Histoire pour affirmer que l'Humanité est en contact des êtres venus d'ailleurs depuis des millénaires. Les tempestaires se retrouvèrent donc embarqués dans ces fantasmes soucoupiques au même titre que les mégalithes de Stonehenge, les pyramides d'Egypte ou encore les géoglyphes de Nazca, pour ne prendre que les exemples les connus. Incorporés dans le mythe ufologique par un ouvrage britannique de 1964, les tempestaires ne connurent cependant pas un grand succès en tant que "preuve" de la présence extraterrestre sur notre bonne vieille Terre (pas assez spectaculaires probablement puisque ces "extraterrestres" n'auraient donc fait que voler des récoltes à des paysans) et sont finalement peu cités. Tout au plus sont-ils présentés par les ufologues d'aujourd'hui comme étant des témoignages d'apparitions supposées énigmatiques au Haut Moyen Âge en France.  

Plus sérieusement, les historiens estiment que la croyance des tempestaires (de même que celles relativement semblables qui apparaîtront dans les siècles suivants) relève de la folklorisation des peurs des paysans de cette époque pour lesquels les éléments pouvaient être une calamité qui anéantissait les récoltes et pouvait engendrer des famines. L'inquiétude des paysans du IXe siècle explique le développement de cette légende qui permettait d'expliquer l'imprévisible et l’incontrôlable.

Si le récit des tempestaires n'est probablement pas aussi mystérieux qu'il en a l'air, il y aura cependant toujours des personnes pour imaginer que les événements derrière les récits d'Agobard de Lyon ressemblaient à ça : 



Les choses sérieuses : la pluralité des mondes au Moyen Âge

Si l'on ne se penche ici que sur le Moyen Âge, il ne faut cependant pas oublier que la question de l'existence de la vie sur d'autres planètes est récurrente depuis la nuit des temps et suscita nombre de débats à travers les âges. Défendue notamment dans l'Antiquité grecque par Pythagore, elle y fut aussi combattue par Aristote.

Pour ce qui est du christianisme et de l'époque médiévale, il faut également se rappeler que la conception que l'on a alors de l'Univers n'est pas celle que nous en avons aujourd'hui. Le modèle géocentrique domine, c'est-à-dire que l'on imagine que la Terre est au centre de l'Univers et que le Soleil, la Lune, les planètes et la voûte céleste tournent autour d'elle. De plus, c'est une astronomie qui ne connait pas les instruments d'observations comme la lunette astronomique et le télescope, lesquels n’apparaîtront que plusieurs siècles plus tard. Le Système solaire (terme anachronique pour l'époque) n'est ainsi à l'époque connu que comme étant composé des planètes Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Si l'héliocentrisme était déjà apparu durant l'Antiquité, il est alors relégué au rang des idées farfelues et conduira même des personnes au bûcher. Le Moyen Âge va cependant aborder plusieurs fois la question de la pluralité des mondes et c'est le christianisme qui va débattre de cela, avec pour point de division la place de la Terre dans la création divine. 

Pour dire les choses simplement, pour ce qui est de l'époque de Godefroy de Montmirail et Jacquouille la Fripouille, à savoir le début du XIIe siècle (1123-1124), cette possibilité est déjà rejetée en bloc par les penseurs de ce temps. 

L'interrogation apparaît cependant dans la réflexion de Thomas d'Aquin au XIIIe siècle. Le dominicain écrit ainsi dans son ouvrage "Somme théologique" (1266-1273) : "Seuls peuvent affirmer que plusieurs mondes existent ceux qui ne reconnaissent aucune sagesse ordonnatrice, mais qui croient dans le hasard, à l'instar de Démocrite, qui disait que ce monde, aux cotés d'innombrables mondes, était le fruit de la rencontre fortuite d'atomes". Derrière cette pensée se trouve également le souci de la cohérence avec les dogmes chrétiens. En effet, imaginer qu'il existe plusieurs mondes habités remet en question la compréhension de ce que Dieu fait avec sa création. A cette époque, le christianisme rejette la possibilité de l'existence de la vie sur les astres. Comme Thomas d'Aquin, d'autres penseurs s'exprimeront contre la pluralité des mondes, parmi lesquels on peut citer le franciscain anglais et professeur d'Oxford Roger Bacon (1214-1294).

Le christianisme de cette époque estime que l'oeuvre de Dieu est par définition parfaite, ce qui suppose donc qu'il n'y a pas besoin d'avoir d'autres mondes et que le vide ne peut y exister pour les séparer. Cependant, d'autres ne sont pas prêts à laisser tomber l'idée dans l'oubli. Ce fut le cas d'Etienne Tempier, évêque de Paris à la fin du XIIIe siècle qui rejeta les idées précédemment citées. Dans un syllabus de 1277, Tempier estime au contraire que les Hommes n'ont pas à considérer avec leur regard ce que Dieu peut ou ne peut pas faire. Dès lors, il n'y a pour lui aucune impossibilité théologique à ce que plusieurs mondes existent dans l'oeuvre de Dieu. Cette vision des choses connaîtra un certain succès en son temps et entraîna des penseurs dans cette lignée, comme le philosophe et ecclésiastique Henri de Gaud (1217-1293), le recteur de l'université de Paris Jean Buridan (vers 1300- vers 1358) ou encore le théologien anglais Guillaume d'Ockham (1285-1347) qui ira jusqu'à écrire "[qu'il] est probable que Dieu puisse créer un autre monde, meilleur que celui-ci, et distinct de celui-ci par son espèce". Ockham fut excommunié en 1330. 

Il est à noter que l'on parle alors exclusivement de "mondes" et que l'on ne questionne pas explicitement la possibilité que ceux-ci portent une vie plus ou moins semblable à la nôtre. Ce n'est qu'à la fin du Moyen Âge que l'on peut la voir apparaître clairement, dans les écrits du penseur allemand Nicolas de Cues (1401-1464). Dans son ouvrage "De la docte ignorance" qu'il rédige en 1440 , l'ecclésiastique se montre on ne peut plus clair sur sa vision des choses : "La vie, telle qu'elle existe ici-bas sur la Terre sous forme d'hommes, d'animaux et de plantes, supposons qu'elle existe, sous une forme plus élevée, dans les régions solaires et stellaires. Plutôt que de considérer que tant d'étoiles et de régions des cieux sont inhabitées, et que seule la Terre est peuplée, qui plus est, d’êtres d'une espèce peut-être inférieure, nous supposerons que dans chaque région il existe des habitants d'une nature différente selon leur rang, qui doivent tous leur origine à Dieu, qui est le centre et le pourtour de toutes les régions stellaires". L'auteur ajoute ensuite un peu plus loin que "les habitants des autres étoiles sont hors de proportion, quelle que soit leur nature, avec les habitants de ce monde [...], ces habitants nous restent tout à fait inconnus. De même, il arrive sur la Terre que des animaux d'une seule espèce [...] ne s'embarrassant nullement des autres et n'en saisissant rien véritablement". Pour lui, aucun astre de l'Univers n'est donc inhabité. 

La controverse n'en continua pas moins encore longtemps et, s'interrogeant sur le péché des êtres qui vivraient sur les autres mondes et de ce que cela impliquerait pour la passion du Christ, Guillaume de Vorilong défend la thèse inverse à la même époque que Nicolas de Cues. 

Au-delà du Moyen Âge, cette question de la pluralité des mondes accompagnera implicitement les retombées philosophiques de la révolution copernicienne de la fin du XVIe siècle. Le débat continuera à secouer le christianisme durant plusieurs siècles, comptant la vie à Giordanno Bruno en 1600 et un procès à Galilée en 1632. Mais l'idée continue de faire son chemin chez les penseurs. Michel de Montaigne (1533-1592) écrit ainsi dans ses "Essais" en 1588 : "Dieu nous a-t-il mis en main les clefs des derniers ressorts de sa science ? S'est-il obligé à n'outrepasser les bornes de notre science ? [...] Pourquoi Dieu, tout-puissant comme il est, aurait-il restreint ses forces à certaines mesures ? En faveur de qui aurait-il renoncé à son privilège ? [...] Il semble n’être pas vraisemblable que Dieu ait fait ce seul ouvrage sans comparaison et que la matière de cette forme ait été toute épuisée en un seul individu". Plus tard, c'est Cyrano de Bergerac (1619-1655) qui écrit dans "Les Etats et empires de la Lune et du Soleil" en 1662 que "l'orgueil insupportable des humaines les persuade que la nature n'a été faite que pour eux, comme s'il était vraisemblable que le Soleil, un grand corps cent trente quatre fois plus vaste que la Terre, n'eût été allumé que pour mûrir ses nèfles et pour pommer ses choux. Quant à moi, bien loin de consentir à l'insolence de ces brutaux, je crois que les planètes sont des mondes autour du Soleil, et que les étoiles fixes sont aussi des soleils qui ont des planètes autour d'eux, c'est-à-dire des mondes que nous ne voyons pas à cause de leur petitesse, et parce que la lumière empruntée ne saurait venir jusqu'à nous". 

 Après le siècle des Lumières, l'idée de la vie sur les autres planètes reviendra dans l'esprit des savants notamment au travers d'ouvrages connus tels que "Les entretiens sur la pluralités des mondes" (1686) de Bernard de Bouyer de Fontenelle (1657-1757) et au siècle suivant "La pluralités des mondes habités" (1862) de Camille Flammarion (1840-1925). Emmanuel Kant écrivit au XVIIIe siècle : "Je suis persuadé qu'il n'est pas même besoin de soutenir que toutes les planètes sont habitées, car le nier serait une absurdité aux yeux de tous [...] Dans l'empire de la nature, les mondes et les systèmes ne sont que la poussière des soleils vis-à-vis de la création entière [...] Au milieu de tant de sphères, il n'y a de parages déserts et inhabités que ceux qui sont impropres à porter des êtres raisonnables qui sont dans le but de la nature". 

Avec le XXe siècle, la vie extraterrestre devint une idée familière et la science mène aujourd'hui les programmes spatiaux que l'on connait pour tenter de répondre à l'éternelle question : sommes-nous seuls dans l'Univers ?


Sources : 
Jacques Arnould, Turbulences dans l'Univers : Dieu, les extraterrestres et nous, ed. Albin Michel, 2017.
David Galley, Ovnis du passé : les effroyables signes du ciel, documentaire, 2016. 
Science et Vie Hors Série, Extraterrestres, la science y croit !, juillet 2016. 
Ciel et Espace Hors Série, Terres habitables, des mondes inattendus, juillet 2017. 
Encyclopédie en ligne Larousse.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Au Cœur de l'Histoire : le massacre d'Oradour-sur-Glane

Prosper le purineur, frère de Jacquouille

Les Inconnus : Thierry la France